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Des idées alternatives à la pelle

Comme expliqué précédemment, nous pouvons trouver sur Facebook plusieurs groupes cyniques ou de contestation, qui donnent un éclairage très alternatif à la catastrophe : par l’humour noir, le déni ou le délassement. Dans les posts et les commentaires publiés par les utilisateurs, nous avons également pu remarquer certaines théories en lien avec le thème du complot, mais peu étayées, peu développées par rapport à certains blogs qui en font leurs sujets de prédilection. Comme observé dans le journal Le Matin, certains posts des internautes s’employaient à reprendre le mythe de la malédiction vécue dans l’île ou la vision apocalyptique du séisme, des perceptions nettement tributaires de l’émotion ressentie et communiquée par les personnes inscrites sur le réseau social. Sur Twitter, une sorte de paranoïa est associée aux dates des grandes catastrophes globales. Les tweets les plus récurrents publient une liste des « 11 » de chaque année, exprimant la crainte de la fin du monde ou d’un complot mondial. Nous pouvons lire par exemple : « Sept. 11(NY) Jan 11 (Haiti) March11 (Japan) … Now go look up Luke 21: 10 – 11 <—– Noww that’s some creepy shit », publié par Killionaire_yae, ou encore « Is everyone takin this in… sept 11th (NY) Jan 11th (Haiti) and March 11th (Japan)……..Luke 21:10-11Then jesus … http://tmi.me/8zDzT », tweetté par SayrahMaria. Rappelons que ce genre de commentaires demeure très présent sur les nouveaux médias et totalement absent des médias traditionnels.

You Tube n’est pas non plus à l’abri des théories alternatives. Celles hébergées par le site de partage de vidéos sont surtout liées à la présence d’UFO lors de la première secousse à Haïti. Ainsi, Dinosauro67 publie la vidéo suivante : Celle-ci a attiré à ce jour 32’948 visiteurs. Mais Dinosauro67 n’est pas le seul à tenir ce genre de thèses. Elles sont en effet corroborées par HardDoor qui publie la vidéo suivante le 22 janvier 2010 :

 

… et les bloggeurs privilégient les théories du complot

C’est le point le plus intéressant concernant les sites web et, surtout, les blogs. Nous avons vu que généralement rien de révolutionnaire n’émerge chez eux concernant le côté pratique de l’aide ou le traitement de l’information par rapport aux médias, si ce n’est une plus grande contribution à faire connaître les organisations et organismes humanitaires et à diffuser les coordonnées pour le soutien aux victimes. Et ceci sans doute avec une efficacité moindre par rapport à Facebook, Twitter ou aux autres nouveaux médias plus en rapport avec les avantages d’instantanéité.

Par contre, les « billets » d’opinion rédigés sur certains sites et sur de nombreux blogs sont caractéristiques. Ils invitent à une nouvelle appréhension de la catastrophe, à de nouvelles interprétations. Il y a la volonté de donner une lecture différente aux événements, à lire entre les lignes en s’opposant à ce qui est avancé dans les journaux et télévisions, souvent considérés soit en tant que médias manipulés, soit en tant que médias eux-mêmes manipulateurs. C’est peu dire que le principe « facts and only facts », en général perçu comme étant la clef vers un idéal d’objectivité par les médias traditionnels, est totalement renversé. Le relatage des faits ne constitue plus l’élément central d’un article ou, en l’occurence, d’un post. Au contraire, on s’en méfie et on désigne les informations rapportées au public comme le produit de médias corrompus. C’est donc le règne de l’opinion, seule apte à éclairer la lanterne des lecteurs, puisque provenant de la réflexion des bloggeurs eux-mêmes. La caractéristique principale de ces opinions est donc qu’elles font référence à des modes de pensée alternatifs par rapport à ce qui est généralement admis et soumis au filtre d’objectivité dans la presse. Elles se fondent sur des mythes et des croyances ou sur de purs produits nés de l’imaginaire de certains internautes.

Les exemples sont nombreux. Nous vous en présentons quelques-uns parmi les plus loufoques. “Le récent tremblement de terre en Haïti a été causé par une machine (…), une sorte de dispositif nucléaire”, relate Mart34u sur un blog disant vouloir révéler la vérité sur les conspirations mondiales. L’auteur est un habitué à diffuser des théories loufoques sur le blog, des textes, des vidéos et des photos piochées sur la toile. Plus loin, sur le même site, le motif d’un déclenchement du tremblement de terre est donné: “Les réserves pétrolifères d’Haïti étaient plus importantes que celles du Venezuela.” Une autre thèse largement répandue sur la toile concerne la responsabilité de l’homme blanc dans le malheur que subit Haïti. Ainsi, nous pouvons trouver sur un blog un billet non signé présentant comme “critique” la théorie suivante: “La malédiction divine n’existe pas. La seule malédiction est celle de l’acharnement de l’homme blanc qui a commencé il y a cinq siècles de cela au nom de la Règle des 3 C : « Christianisation, Commerce, Colonisation ».” Dans ce billet, l’auteur mélange vulgairement l’histoire de la colonisation par l’homme blanc, les catastrophes naturelles ayant dévasté l’île à travers l’histoire, l’évolution de la société haïtienne; il impute la responsabilité de l’ensemble des malheurs aux colonisateurs. Cette dernière thèse peut être apparentée à celles émises autour d’une île jugée maudite et transmise par les médias traditionnels, même pour des besoins liés à la séduction du public à travers des moyens sensationnalistes. Elle est donc assurément plus loufoque que celles-ci.

 

THÉORIES ALTERNATIVES

Si la diffusion de théories alternatives est visiblement très fréquente dans les nouveaux médias, elle reste par contre presque inexistante dans les médias traditionnels. Ces derniers se contentent en général d’exprimer, et en ce qui concerne la plupart d’entre eux pour des besoins liés à la séduction d’un lectorat ou d’une audience, la vision d’une malédiction liée à Haïti. L’utilisation d’un tel sensationnalisme demeure par opposition décriée par d’autres médias comme Le Temps, qui s’emploie essentiellement à déconstruire de tels propos et à faire office de chien de garde d’une objectivité jugée en perdition dans des journaux confrères ou à la télévision. Par contre, nous verrons que sur la toile pullulent un nombre impressionnant de théories complotistes, dont certaines sont vraiment « tirées par les cheveux ». Il nous a semblé que ce nouveau clivage entre médias présents sur Internet et médias traditionnels, lié à la présence ou à l’absence de théories alternatives, méritait d’être expliqué en détails.

Ce n’est qu’une blague !

Il existe une autre dimension totalement absente dans les médias traditionnels (sauf peut-être dans certains journaux satiriques souvent accusés de « mauvais goût » par leurs confrères) et liée à cette liberté d’expression qui règne sur le net : la naissance de mouvements de ce que l’on peut appeler « contestation ». Bien qu’ils rassemblent très peu d’adhérents et qu’ils sont présents surtout sur Facebook par le biais de pages ou de groupes, il semble néanmoins utile de les citer. Certains sont clairement contestataires et font montre de leur lassitude d’entendre parler d’Haïti, comme le groupe «Tanné d entendre parler de Haiti». D’autres sont de nature cynique : le groupe « un six pack pour tout le monde en Haïti !!! » en est l’exemple emblématique.

Nous pouvons donc remarquer qu’un certain amateurisme caractérise souvent les créateurs de pages Facebook ou, plus souvent encore, les bloggeurs. Ainsi, ce qui peut sembler n’être qu’une blague n’est en réalité qu’un manque d’expérience ou de réfléxion approfondie. Si nous avons mis en exergue le fait que la TSR a toujours utilisé des images en accord avec le sujet traité, ce n’est la plupart du temps pas le cas dans certains blogs de particuliers. Nombre d’entre eux peinent en effet à trouver une logique. Les pages d’accueil présentent des photos de paysages d’Haïti, de magnifiques palmiers alors que le contenu traite du séisme. Citons aussi l’exemple d’articles sur le séisme malencontreusement mélangés avec des souvenirs d’expériences personnelles vécus lors d’un voyage de noce à Haïti ou d’une sortie entre amis sur l’île. Malgré une volonté immédiate d’agir en faveur du séisme, ces blogs sont donc souvent vite abandonnés et laissés en pâture sur la toile.

Pour des estomacs forts

Comme lors de tout autre événement tragique survenu après la création de You Tube, la plateforme a hébergé les vidéos les plus crues mais aussi toute une série de vidéos fakes ou encore messages publicitaires exploitant les mots clefs associés aux différentes tragédies. Nous sommes conscients de cette situation, même si elle reste néanmoins moins intéressante pour nous que l’analyse des images qui ont été mises en ligne. Pour tout approfondissement du sujet des fausses vidéos et de la reprise de ces dernières par certains médias traditionnels, nous vous conseillons la lecture de l’article Séisme, mensonges et vidéo sur Nouvelobs.com.

Comme nous l’avons vu lors de notre analyse des tweets et des photos publiées par exemple sur flickr.com, ce qui caractérise le net est l’absence de filtrage et la publication par n’importe qui, sur place ou non, d’images tragiques. Mort, destruction et souffrance règnent donc sur la toile dès les heures qui suivent la tragédie.

La vidéo qui exemplifie parfaitement ce que nous venons d’affirmer est la suivante : Cette vidéo paraît être l’une des premières à avoir été chargée, soit le 12 janvier déjà, immédiatement après la première secousse. Elle est emblématique car les images les moins dramatiques qui y sont contenues ont été reprises par la TSR, tandis que celles montrant les cadavres coincés n’ont pas été diffusées sur les chaînes nationales. La première vidéo qui rend compte de l’événement est, elle, publiée trois heures après la secousse. Elle montre une femme qui filme du haut des collines ce qui est en train de se passer :

La façon dont les utilisateurs des nouveaux médias trouvent un espace pour exprimer leurs véritables sentiments est également révélatrice. Un tel espace n’existe pas (encore ?) dans les médias traditionnels ; les espaces lecteurs et les commentaires sur les sites web ne suffisent pas pour englober ce type de démonstrations de soutien. En effet, certains internautes créent à partir des photos présentes sur le web des vidéos pour montrer à tous la véritable souffrance. Par exemple, nous pouvons lire dans la description de la vidéo de earlstomb, caractérisée par 5.38 minutes de diaporama de photos chocs « whilst reading the news on the internet, I was profoundly moved by the images I saw; overwhelmed at some points. I don’t think that everybody knows exactly how badly the people of Haiti are suffering right now».

La vidéo postée par InsideDisaster le 16 janvier  consitue un exemple excellent de la dureté de certaines images présentes sur le web: Cette vidéo montre une panoramique sur les milliers de cadavres présents en dehors du General Hospital de Port au Prince. Nous croyons que même en additionnant tous les cadavres que nous avons vus dans les médias traditionnels nous n’arriverions pas au nombre de cadavres présents sur cette vidéo. Mais celle-ci n’est pas seulement exemplaire de la différence de traitement d’une tragédie sur Internet à cause du nombre de cadavres montrés ; elle l’est aussi de par l’expérience inédite qui attend le visiteur. En effet, la vidéo le renvoie sur le blog insidedesaster, directement sur la section consacrée à Haïti. Ce que l’internaute peut ensuite de lui-même découvrir reste probablement la meilleure preuve du fossé qui sépare les nouveaux média et les médias traditionnels : il peut rentrer virtuellement dans la tragédie comme un survivant, un journaliste ou un sauveteur. Les images sont terribles. Dans les nouveaux médias, tout est possible: Webreportage Haïti