Dans les pages du Temps, la prudence a caractérisé la première vague d’articles que nous avons décelée au jour suivant la tragédie. Le 13 avril, alors que des nouvelles catastrophiques s’enchaînaient sur le web, le journal Le Temps reste assez modéré dans ses titres. « Vers un bilan effroyable en Haïti » ou « L’ONU durement touchée » sont des intitulés qui représentent tout à fait l’état d’esprit de la rédaction, axé sur la sobriété, bien que l’on sache qu’il y ait eu au moins une dizaine de morts rien qu’au palais occupé par les forces internationales. Même si une composante émotionnelle est perceptible dans les articles signés par des journalistes, la mort n’est pas exploitée : on parle très peu de cadavres, probablement parce que le nombre de victimes n’est pas encore clair. Nous pouvons retrouver les mots les plus forts dans les dires des personnes sur place. Les premières affirmations du président René Préval et sa femme, telle « certaines écoles sont remplies de cadavres», sont rapportées. Cette idée de « donner la parole » sera d’ailleurs maintenue tout au long de la couverture de l’événement. Chaque article est en effet caractérisé par des témoignages et des citations, le plus souvent de personnes faisant partie d’institutions sur place ou en Suisse, ce qui permet au Temps d’éviter une exploitation excessive de la misère et de la douleur humaine.
Avec l’évolution du décompte des cadavres, le langage devient plus parlant dans les jours suivants et l’événement est décrit avec des mots tels que « catastrophe », « tragédie » ou encore « apocalypse ». Néanmoins, des articles plus « scientifiques » essayent de donner une lecture rationnelle au drame et de l’insérer dans sont contexte historique. Il ne s’agit pas d’une volonté de relativiser mais de ne pas se laisser emporter par une description uniquement émotionnelle de l’événement. En conclusion d’un article paru le 14 janvier, nous pouvons lire une citation d’une lectrice du Temps d’origine haïtienne : « un tremblement de terre vient de détruire mon enfance ». Le choix est donc clair et en ligne avec la publication : pour éveiller l’intérêt et l’empathie, les cadavres ne sont pas forcements nécessaires. Ce sont plutôt des éléments de témoignages durs, d’articles écrits avec un style plus narratif et une analyse approfondie par exemple de la mobilisation humanitaire qui caractérisent la restitution de l’information.
Simultanément, le journal Le Matin, fidèle à son orientation populaire, emploie des techniques de dramatisation et angle tout de suite sur le sensationnalisme. On recherche des mots subjectifs, très forts, qui expriment le malheur et font ressortir le drame de la situation : « la nuit est tombée sur Port-au-Prince ravagée par le séisme », « une nuit au milieu des cadavres », « c’est un pays maudit », ou encore « Haïti : la douloureuse cohabitation des morts et des vivants ». Les mots choisis appartiennent au vocabulaire des ténèbres, de la mort, les événements en Haïti sont associés à une espèce d’apocalypse. Les articles sont anglés de manière à décrire une situation insoutenable, émotionnelle et toujours au plus près des victimes. Les photos sont d’ailleurs choquantes et représentent surtout des gens pris sous les décombres ou des cadavres, alors que celles du Temps ne jouent pas ou beaucoup moins sur un tel registre. Ci-dessous, l’une des photos les plus choquantes utilisées par Le Matin, qui est aussi l’une des premières puisque publiée le lendemain du séisme: